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Changer de regard sur le handicap

La prise en compte des personnes handicapées et leur intégration dans un groupe mixte pose inévitablement la question du regard sur le handicap. Comment aller d’une conception déficitaire du handicap à la perception de la "singularité positive" de la personne handicapée pour bâtir des balades qui permettent la rencontre ?

  • TROP SOUVENT, LA PERSONNE EST REGARDÉE POUR CE QU’ELLE A DE DIFFÉRENT : une altérité qui, selon le cas, interpelle, étonne, inquiète ou terrifie et qui reste parfois le seul caractère perçu dans l’individu. Cet unique trait peut même devenir l’attribut essentiel de la personne qui, de ce fait, devient "un aveugle" (et le fait de l’appeler "non-voyant" change peu notre approche !) ou tout simplement "un fauteuil" ! Un énoncé du genre : "à la caisse du supermarché, j’ai laissé passer un fauteuil roulant..." peut paraître normal à un grand nombre de personnes.

Beaucoup de nos énoncés réduisent ainsi les personnes à leur handicap, voire à l’un des objets qu’elles utilisent les faisant ainsi disparaître derrière leur différence.
Nous ne nous rendons pas compte de la puissance de négation de la personne handicapée qui s’exerce derrière un tel procédé de langage. A tel point que les personnes handicapées ont souvent bien du mal à se sentir exister dans le regard des autres. Le regard posé sur le handicap, lorsqu’il est ainsi une absence de regard pour la personne, devient l’une des premières causes de souffrance dans les situations de handicap. Les personnes handicapées font souvent état de ces regards qui se vident à leur contact pour glisser sur eux comme s’ils étaient dépourvus d’existence propre ou, à l’inverse, de ces regards qui fouillent sans retenue leurs différences sans être en mesure de voir, au-delà, l’individu dans ce qu’il a de normal, autrement dit : la personne.

  • Ainsi, des parents qui n’ont pas mûri les questions que pose le handicap apprennent très tôt à leurs enfants à ne pas regarder les personnes handicapées plutôt que de leur apprendre à les voir comme des personnes normales ayant des difficultés particulières. Sans doute ces parents croient-ils bien faire avec cette éducation du regard par laquelle ils cherchent, de bonne foi, à ne pas troubler la personne handicapée. Mais une curiosité enfantine des plus saines est ainsi étouffée dans une culpabilité qui peut les mettre définitivement mal à l’aise en présence du handicap et, dans une sorte d’inconscient culturel, leur donnera la faculté incroyable de littéralement gommer les personnes handicapées de leur champ visuel. A contrario, les enfants élevés au contact du handicap sont capables de nous dire la façon dont on les voit lorsqu’on a pas encore intégré les préjugés sociaux concernant les personnes handicapées. Par exemple cette enfant qui proteste en disant de son amie : "Non, elle n’est pas handicapée ; elle a juste besoin que je l’aide". Ou cet autre qui rassure concernant sa petite sœur : "en dehors de son polyhandicap, elle est normale". Enfin, cette enfant, le jour de la rentrée dans sa nouvelle école maternelle, qui fait le tour des classes avant d’aller voir sa maîtresse et lui demander : " Où sont les enfants qui ne marchent pas ?", habituée jusque-là à un jardin d’enfants dans lequel elle partageait les journées avec des enfants handicapés moteurs. Elle pensait sans doute, à juste titre, que puisque ces enfants existent, ils doivent être avec nous.

Alexandre Jollien, qui ne cesse pas dans ses écrits de nous montrer que le handicap n’empêche pas d’oser le bonheur et enseigne à tous l’art d’être heureux, nous le dit en tant que porteur d’un handicap moteur cérébral : "Soutenir les regards est un exercice quotidien".

> SINGULARITÉ POSITIVE

  • Certes, la déficience engendre des difficultés : à voir, à se mouvoir, à entendre ou à comprendre. Contrairement à ce qu’on croit, ces difficultés n’altèrent en rien la "normalité" de l’individu.
    Il est un peu étrange d’avoir à le souligner car chacun semble prêt à en convenir, pourtant nos abus de langage et nos attitudes disent en permanence le contraire et entretiennent une mise à distance constante des personnes handicapées.
  • Pour aborder efficacement les questions d’accessibilité de nos balades, il est nécessaire de d’abord de "se refaire une culture" ainsi que nous y invite Charles Gardou dans la préface du rapport Chossy rendu en 2011 et intitulé "Évolution des mentalités et changement du regard de la société sur les personnes handicapées".

Intégrer le handicap, c’est cesser de le penser d’abord comme déficit, incapacité ou vulnérabilité ; cesser de considérer la personne handicapée comme un individu à qui il manque quelque chose ; cesser de voir seulement l’individu "empêché", pour retrouver le contact avec l’individu "normal".

  • Cela ne veut pas dire pour autant que son vécu soit réductible au nôtre : chaque expérience du monde faite à partir d’une déficience est une expérience profondément originale. Il ne s’agit ni de nier sa singularité ni, bien sûr, de remettre en cause les compensations dont les déficiences font l’objet. Il s’agit bien plutôt d’envisager la personne handicapée dans sa "singularité positive" selon les termes et la vision proposés par la philosophe et psychanalyste Julia Kristeva. Ce n’est pas pour autant attendre des personnes handicapées qu’elles se fondent dans "la communauté des performants standardisés" selon la formule du même auteur ; c’est seulement les accepter avec leurs forces et leurs limites, exactement comme nous le faisons d’ordinaire pour tout individu. Monique Pelletier achève quatre années de présidence du Conseil National du Handicap sur ce constat : "le changement de regard et d’attitude est encore beaucoup trop lent" (voir notamment son message de départ sur le site du Conseil).


> UN REGARD QUI CHANGE ET ÉVOLUE

  • Reconnaissons tout de même que le regard sur le handicap commence à changer. . Entre autres exemples, nous en voyons la preuve dans le succès du film "Les Intouchables", le programme Internet "Vinz et Lou" pour sensibiliser les enfants à la différence ou la série télévisée "Vestiaires", "un programme court et comique, écrit et interprété par des handicapés [sic] et diffusé par France 2 qui met en scène le handicap dans un contexte handisport pour dire qu’il y a toujours " un moyen d’aller vers l’autre et de comprendre l’autre" pour reprendre le pitch de la chaîne.

Pour réaliser ce travail d’acculturation nécessaire face à ces questions, pour "Déconstruire notre culture" comme le préconise Charles Gardou en introduction du livre "Désinsulariser le handicap" nous vous renvoyons à la rubrique Ressource et plus particulièrement à une fiche qui récapitule quelques pistes utiles (Essais, romans, rapports)